Objectif Transmission

Projet de traduction en français des textes fondateurs de la tradition juive

Le Pesiqta deRab Kahana (tomes 1 à 4)

 

 Le midrash connu sous le nom de Pesiqta deRab Kahana  (litt. Chapitres de Rav Kahana) est un recueil de midrashim de nature homilétique destinés à être lus les jours de fêtes et les « shabats spéciaux » de l’année liturgique juive.

On pense que cet ouvrage a été compilé en Galilée vers le Ve siècle de notre ère, ce qui en ferait l’un des plus anciens midrashim connus. Malgré son importance, il n’a à notre connaissance jamais été traduit en français.

Nous en proposons ici une traduction en français accompagnée en vis-à-vis du texte hébreu original (version Mandelbaum).

Au premier abord notre ouvrage se présente comme un midrash classique. La première question qui se pose au lecteur actuel est la suivante: Comment est-il possible qu’un ouvrage composé en plein Empire chrétien ne comporte aucune mention de l’existence même du Christianisme ?

Cet ensemble de 28 homélies couvre, on l’a dit, l’année liturgique juive. Mais l’ordre dans lequel se présentes ces homélies présente un fait troublant : c’est que l’ouvrage s’ouvre sur une homélie relative au shabat précédant la fête de Hanuka, or que l’on sache l’année juive ne commence pas à Noël. On se serait plutôt attendu à ce que cet ouvrage s’ouvre sur une homélie relative à Rosh Hashana ou à la fête de PessaH.

• L’hypothèse polémique.

Cette anomalie serait, selon certains commentateurs, la trace de polémiques antichrétiennes de PRK. Un auteur de la stature de Léo Baeck a couvert cette idée de son autorité. Nous invitons donc notre lecteur à être attentif à cette hypothèse.

De ce fait le procédé nommé Double Entente revient, dans le PRK, au premier plan. La polémique, si elle existe, ne peut en effet apparaître ouvertement car le bras séculier de l’Eglise pourrait alors être fatal au texte lui-même. C’est que la situation s’est quelque peu modifiée vers le Ve siècle: le Christianisme n’est plus simplement une secte juive qui a pris le pouvoir temporel, c’est le Judaïsme qui apparaît comme une secte messianiste minoritaire et hérétique.

Le Judaïsme rabbinique doit donc faire connaître sa doctrine mais avec une prudence de sioux, s’il veut survivre. Le premier chapitre (ou pisqa) du PRK traite par exemple de la shekhina (la présence divine). A travers cette évocation, notre texte réaffirmerait la doctrine juive contestée par l’idée que cette Présence réside désormais dans le messie chrétien via l’idée de l’incarnation. Cette Présence est descendue le jour de l’inauguration de la Demeure et elle marque l’alliance définitive scellée entre Dieu et son peuple. D’où le nom de cette première pisqa: vayehi beyom kalot moshe - Le jour où Moïse eut achevé la Demeure. Il n’est donc pas vrai que Dieu ne parle plus à son peuple. Le verbe divin continue au contraire à se manifester au travers du Temple. D’où l’élaboration du second paragraphe de cette pisqa relative au fameux palanquin de Salomon. Cette élaboration elle-même ne manque pas d’humour puisqu’elle suggère l’idée d’une indécence à ce que Dieu parle à son peuple en public et à tout propos.

Le passage relatif à Bethsabée, serait ainsi une réponse non dénuée d’humour, à l’élaboration chrétienne du couronnement du Christ par sa mère: Figurez-vous que nous avons parcouru toutes les Ecritures, nous dit le PRK et que nous n'avons pas trouvé que Bethsabée ait jamais fait une couronne pour son fils Salomon. En réalité il s’agit de la Tente d’Assignation (PRK 1,5) Le lecteur lira désormais avec une attention plus soutenue les passages où l’on cite par exemple cet innocent verset des proverbes: Qui est monté au ciel et puis en est descendu ? ... Quel est son nom ? Quel est le nom de son fils, si tu le sais ? (Pr 30,4).

Il se demandera également pourquoi la figure d’Esaü, le sympathique frère de Jacob, est si présente dans notre Midrash. Il interrogera sans doute alors le lien entre Esaü et Edom, et celui d’Edom avec Rome, etc. Ou bien encore il méditera sur cette convocation de Nabuchodonosor, écrit curieusement en deux mots nebukad netser. Il se demandera par exemple pourquoi ce nom d’un personnage pourtant totalement historique a subi les foudres de la censure ecclésiastique, comme l’attestent les Hesronot ha-shass. Serait-ce parce que Nabuchodonosor a voulu « se prendre pour Dieu » ? Si l’hypothèse polémique était avérée, le PRK serait alors un témoin irremplaçable de l’éternel débat en miroir entre Judaïsme et Christianisme.

Maurice MERGUI